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Escaudes. Entre Bazas et Captieux. Ici, la mairie n'est ouverte
que deux jours par semaine. Le parking est en terre battue. Le centre du
village, néanmoins charmant, se situe entre quatre chemins : à droite Captieux,
à gauche Grignols, Casteljaloux en face. L'église, les bains-douches, une
agence postale et un foyer rural pour 150 âmes. Il ne se passe pas grand-chose,
mais tout résonne plus qu'ailleurs, à cause du silence sans doute. Sur la route
qui conduit à Escaudes, la forêt a subi deux saignées indécentes. Les arbres
sont tombés, par centaines. On entend le cri strident des tronçonneuses jusqu'à
la tombée du jour.
« Il se dit tout et n'importe quoi dans nos petits villages, s'agace Bernard,
un autochtone. On sait que la conduite du gaz va être installée, un mal pour un
bien. L'autre tranchée, bien plus impressionnante, c'est la ligne à haute
vitesse ou alors l'autoroute ? En tous cas, nous, nous avons fait campagne pour
refuser la LGV. L'autoroute, en revanche, nous sera bien utile, elle nous
raccordera au reste du monde. »
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_De la spoliation comme une œuvre d'art_
« On nous
casse en deux »
PHOTO
ALEXANDRE SIOC'HAN DE KERSABIEC
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René Salomon devant la tranchée laissée par
les travaux préalables à la future autoroute A 65
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La charrue
avant les boeufs. Pas la peine de tambouriner à la porte de la mairie. Christian
Mansencal chasse la palombe. Comme d'ailleurs la plupart des hommes du village;
c'est au milieu des feuillus qu'on les déniche. « J'ai rien vu venir, lâche le
maire. Personne ne m'a averti qu'il allait y avoir ce chantier. Bien sûr, comme
tout le monde, je savais que le tracé de l'A 65 passerait par là, mais les
travaux devaient débuter en avril 2008. Ils sont gonflés. Sur place, j'ai
rencontré la société BAB (1) qui se chargeait de la coupe et je leur ai dit :
"Vous mettez la charrue avant les boeufs." Pour le gaz, ils ont fait
les choses en bonne et due forme. Mais là, ils vont vite, trop vite. Imaginez,
ils ont commencé il y a un peu plus de quinze jours, et déjà, sur 80 mètres de
large, trois kilomètres de forêt ont été rasés. Ce sont les propriétaires qui
nous ont alertés. »
Pas
content, le maire. Il hoche la tête, piaffe contre ces sociétés qui viennent «
piquer leur bois ». Et puis, cette trouée dans la forêt l'inquiète. « Ca nous
coupe en deux, on est défigurés », regrette-t-il.
Marchands
de bois. La
forêt landaise appartient à plus de 90 % à des privés. Dans le canton de
Captieux, 10 hectares de forêt communale seront dévorés par l'A 65. Des pins,
des chênes et des charmes centenaires. Deux propriétaires privés à Escaudes ont
déjà vu une partie de leur patrimoine filer dans des camions semi-remorques.
René Salomon et son épouse Nicole ont freiné des quatre fers lorsqu'ils ont été
contactés par la société des autoroutes Eiffage il y a un mois. « Ils nous ont
pris à la gorge, se souvient Nicole. Ils devaient commencer au printemps, on
s'était faits à l'idée. Alors on a résisté, on a refusé de signer. Quelques
jours après notre refus, nous avons reçu une lettre recommandée de la
préfecture, signée du préfet. Droit de préemption, nous n'avons pas eu le
choix. »
Les
Salomon, grands propriétaires terriens depuis des générations, sont eux aussi
d'irréductibles chasseurs de palombes. En quinze jours, la société privée
employée par Eiffage a rasé, outre leurs arbres multicentenaires, trois
palombières. « En plus, ils nous achètent le bois à très bas prix. 10 euros le
stère, quand le gaz nous paie le même stère à 45 euros, en nous le laissant...
En tout, nous perdons quatre hectares de forêt. »
Lorsque les
Salomon ont questionné les responsables de chantier, sur leurs terres, quant
aux raisons de cette urgence à commencer les travaux, ces derniers ont évoqué
les « fouilles archéologiques ». « Sur tout nouveau tracé d'autoroute, commente
Georges Bernard, conseiller municipal à Captieux, il y a une obligation à
souscrire à une archéologie préventive, c'est la loi. Ces fouilles préalables
au chantier veillent à protéger d'éventuels vestiges. » Les Salomon ne sont pas
convaincus : ils ont certes observé les trouées dans le sol, sur la zone
déboisée, non sans un certain scepticisme. En attendant, leur ultime palombière
flirte avec la future autoroute...
(1) BAB :
société Bois Atlantique Bordeaux. Retour en arrière
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