:Isabelle Castéra

Escaudes. Entre Bazas et Captieux. Ici, la mairie n'est ouverte que deux jours par semaine. Le parking est en terre battue. Le centre du village, néanmoins charmant, se situe entre quatre chemins : à droite Captieux, à gauche Grignols, Casteljaloux en face. L'église, les bains-douches, une agence postale et un foyer rural pour 150 âmes. Il ne se passe pas grand-chose, mais tout résonne plus qu'ailleurs, à cause du silence sans doute. Sur la route qui conduit à Escaudes, la forêt a subi deux saignées indécentes. Les arbres sont tombés, par centaines. On entend le cri strident des tronçonneuses jusqu'à la tombée du jour.
« Il se dit tout et n'importe quoi dans nos petits villages, s'agace Bernard, un autochtone. On sait que la conduite du gaz va être installée, un mal pour un bien. L'autre tranchée, bien plus impressionnante, c'est la ligne à haute vitesse ou alors l'autoroute ? En tous cas, nous, nous avons fait campagne pour refuser la LGV. L'autoroute, en revanche, nous sera bien utile, elle nous raccordera au reste du monde. »

 

       

  _De la spoliation comme une œuvre d'art_  

« On nous casse en deux »

PHOTO ALEXANDRE SIOC'HAN DE KERSABIEC

René Salomon devant la tranchée laissée par les travaux préalables à la future autoroute A 65

 

La charrue avant les boeufs. Pas la peine de tambouriner à la porte de la mairie. Christian Mansencal chasse la palombe. Comme d'ailleurs la plupart des hommes du village; c'est au milieu des feuillus qu'on les déniche. « J'ai rien vu venir, lâche le maire. Personne ne m'a averti qu'il allait y avoir ce chantier. Bien sûr, comme tout le monde, je savais que le tracé de l'A 65 passerait par là, mais les travaux devaient débuter en avril 2008. Ils sont gonflés. Sur place, j'ai rencontré la société BAB (1) qui se chargeait de la coupe et je leur ai dit : "Vous mettez la charrue avant les boeufs." Pour le gaz, ils ont fait les choses en bonne et due forme. Mais là, ils vont vite, trop vite. Imaginez, ils ont commencé il y a un peu plus de quinze jours, et déjà, sur 80 mètres de large, trois kilomètres de forêt ont été rasés. Ce sont les propriétaires qui nous ont alertés. »
Pas content, le maire. Il hoche la tête, piaffe contre ces sociétés qui viennent « piquer leur bois ». Et puis, cette trouée dans la forêt l'inquiète. « Ca nous coupe en deux, on est défigurés », regrette-t-il.


Marchands de bois. La forêt landaise appartient à plus de 90 % à des privés. Dans le canton de Captieux, 10 hectares de forêt communale seront dévorés par l'A 65. Des pins, des chênes et des charmes centenaires. Deux propriétaires privés à Escaudes ont déjà vu une partie de leur patrimoine filer dans des camions semi-remorques. René Salomon et son épouse Nicole ont freiné des quatre fers lorsqu'ils ont été contactés par la société des autoroutes Eiffage il y a un mois. « Ils nous ont pris à la gorge, se souvient Nicole. Ils devaient commencer au printemps, on s'était faits à l'idée. Alors on a résisté, on a refusé de signer. Quelques jours après notre refus, nous avons reçu une lettre recommandée de la préfecture, signée du préfet. Droit de préemption, nous n'avons pas eu le choix. »
Les Salomon, grands propriétaires terriens depuis des générations, sont eux aussi d'irréductibles chasseurs de palombes. En quinze jours, la société privée employée par Eiffage a rasé, outre leurs arbres multicentenaires, trois palombières. « En plus, ils nous achètent le bois à très bas prix. 10 euros le stère, quand le gaz nous paie le même stère à 45 euros, en nous le laissant... En tout, nous perdons quatre hectares de forêt. »
Lorsque les Salomon ont questionné les responsables de chantier, sur leurs terres, quant aux raisons de cette urgence à commencer les travaux, ces derniers ont évoqué les « fouilles archéologiques ». « Sur tout nouveau tracé d'autoroute, commente Georges Bernard, conseiller municipal à Captieux, il y a une obligation à souscrire à une archéologie préventive, c'est la loi. Ces fouilles préalables au chantier veillent à protéger d'éventuels vestiges. » Les Salomon ne sont pas convaincus : ils ont certes observé les trouées dans le sol, sur la zone déboisée, non sans un certain scepticisme. En attendant, leur ultime palombière flirte avec la future autoroute...
(1) BAB : société Bois Atlantique Bordeaux.                                                                       Retour en arrière